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Accroître les investissements des entreprises dirigées par des femmes

21 mars 2023

Les entreprises dirigées par des femmes sont toujours sous-financées, malgré un marché représentant plusieurs milliards de dollars.

Les études sur la diversité des genres dans les jeunes entreprises technologiques dressent un tableau relativement sombre : les femmes sont moins susceptibles de recevoir du financement et sont fortement sous-représentées parmi les fondateurs d’entreprises et les sociétés de capital de risque. 

Cependant, nous sommes sur le point d’amorcer un tournant.

Pour mieux comprendre la situation actuelle, BetaKit s’est entretenue avec Kim Furlong, chef de la direction de la CVCA, et Nabeela Merchant, associée principale du Fonds pollinisateur de TELUS pour un monde meilleur et membre du comité fondateur de Canadian Women in VC. Celles-ci ont expliqué comment la diversité des genres dans le domaine de l’investissement à vocation sociale et des jeunes entreprises est en pleine croissance et pourquoi il est si important de poursuivre la lutte. 

Démarrage à froid 

Les femmes se butent généralement à de multiples obstacles lorsqu’il s’agit de recueillir des fonds pour de jeunes entreprises. Le premier obstacle réside dans la façon dont les investisseurs interrogent les hommes par rapport aux femmes. Mme Merchant a cité une étude de Dana Kanze, professeure adjointe à la London Business School, qui comparait les types de questions que les investisseurs posent aux femmes et aux hommes.

De manière disproportionnée, on posait aux femmes des questions de « prévention » portant sur l’atténuation des risques, tandis qu’on posait plus souvent aux hommes des questions de « promotion » portant sur la croissance et une vision gagnante. En soi, cela peut sembler anodin; après tout, les investisseurs se doivent de comprendre l’atténuation des risques et les plans de croissance avant d’investir. Mais Mme Merchant soutient qu’il s’agit d’une idée fausse.

« Cela est important, car les sociétés de capital de risque se basent habituellement sur le rendement des lois de puissance, déclare Mme Merchant. Comme vous souhaitez connaître de grandes victoires, vous êtes plus susceptible de soutenir quelqu’un quand vous connaissez sa vision. »

L’étude de Dana Kanze dévoile que pour chaque question de prévention supplémentaire posée à une entrepreneure, son entreprise recueillait en moyenne 3,8 millions de dollars de moins.

Le deuxième obstacle concerne les réseaux auxquels les femmes ont accès. Mme Merchant a déclaré que les investisseurs sont plutôt influençables, c’est-à-dire que lorsque l’un d’entre eux signe un chèque, les autres sont plus susceptibles de faire de même. Toutefois, de nombreuses femmes ne sont pas en mesure d’encaisser de gros chèques d’amis, de membres de la famille ou de mécènes pour attirer d’autres investisseurs.

« Il est vraiment difficile de démarrer à froid quand on n’a pas de réseau, qu’on est en train de percer ou qu’on est sous-représenté, et qu’on ne bénéficie pas d’une telle plateforme », affirme Mme Merchant.

Le troisième obstacle est l’idée que la société se fait du rôle de la femme, à savoir qu’elle n’appartient pas dans une salle de réunion. C’est une situation que de nombreuses entrepreneures ont vécue, au point où on leur demandait même si elles avaient l’intention de quitter leur entreprise pour élever des enfants. Bien qu’elle reconnaisse qu’un tel problème existe, Jasmine Crowe-Houston, fondatrice de Goodr, une jeune entreprise spécialisée dans la gestion durable des déchets alimentaires, n’aime pas particulièrement en discuter.

« Souvent, quand des gens veulent faire un reportage sur la difficulté qu’ont les femmes noires à recueillir des fonds, je leur réponds toujours que je ne veux pas parler de ça, nous confie Mme Crowe-Houston. Je préfère parler de mon entreprise, car il est peut-être difficile pour nous de recueillir des fonds, mais cela n’enlève rien au fait que j’ai construit une entreprise de plusieurs millions de dollars à partir de rien. »

Chenny Xia, cofondatrice de la jeune entreprise à vocation sociale Gotcare, voit les choses un peu différemment. Au lieu de voir la discrimination ou les préjugés comme une expérience strictement négative, elle les voit presque comme une « bénédiction ».

« Lorsque je rencontre quelqu’un, je peux me baser sur la façon dont il réagit à mon apparence pour décider si je dois continuer à lui parler ou non, déclare Mme Xia. C’est très efficace. »

Changer de discours

Il existe déjà de solides arguments en faveur de la présence accrue des femmes dans les jeunes entreprises et les sociétés de capital de risque : en effet, des études démontrent que les jeunes entreprises détenues par des femmes génèrent généralement plus de revenus par dollar investi. Mais les statistiques ne suffisent pas à faire tomber les préjugés générationnels.

« Pour changer le discours ci-dessus, il doit y avoir plus de diversité de genres au sein des sociétés de capital de risque qui prennent les décisions d’investissement, afin d’entraîner un effet boule de neige nécessaire pour transformer le paysage d’allocation des capitaux », affirme Mme Furlong.

Mme Merchant a expliqué que l’effet boule de neige s’apparentait davantage au concept financier des intérêts composés, le décrivant comme un phénomène à deux volets. Le premier volet, comme l’a noté Mme Furlong, est l’augmentation des investissements, puisque les femmes dans les sociétés de capital de risque sont deux fois plus susceptibles d’investir dans des entreprises dirigées par des femmes. Le second volet consiste à créer des modèles à suivre pour inspirer la prochaine génération de fondatrices et d’investisseuses, de sorte qu’elles puissent se soutenir mutuellement.

Mme Merchant a donné l’exemple de Canadian Women in VC, le groupe qu’elle a contribué à fonder. Lors de la création de l’organisme en 2018, elle a remarqué qu’il n’y avait qu’une poignée de femmes travaillant dans des sociétés de capital de risque. Aujourd’hui, la communauté compte plus de 300 femmes se consacrant à leur propre carrière et à l’intégration d’encore plus de femmes dans le monde du capital de risque.

« Ces femmes sont une source d’inspiration, jouent le rôle de mentores, servent de modèles et facilitent l’accès à l’industrie », déclare Mme Merchant.

La promotion de la diversité peut également contribuer au bien commun. Des études démontrent que les femmes se soucient souvent davantage de l’environnement, du tissu social et de la gouvernance à mesure que leur fortune s’accroît.

Mme Crowe-Houston a déclaré à BetaKit qu’elle s’était fixé comme objectif de fonder une entreprise qui réussit bien tout en faisant le bien. Et cela fonctionne : selon Mme Crowe-Houston, Goodr a détourné plus de cinq millions de livres de déchets alimentaires des dépotoirs pour en faire bénéficier des personnes touchées par la faim. « Chaque jour, nous empêchons des aliments de finir au dépotoir et nous fournissons des repas aux personnes dans le besoin », ajoute-t-elle.

Dans le même ordre d’idées, Mme Xia a constaté que l’approche unique de Gotcare en matière de jumelage avec les soignants a aidé de nombreux patients à sortir des longues listes d’attente tout en offrant des possibilités de revenus à des milliers de travailleurs de la santé de première ligne.

Accroître les investissements dans les jeunes entreprises dirigées par des femmes

D’un point de vue social et économique, les jeunes entreprises dirigées par des femmes commencent à voir une hausse significative du soutien et du financement qui leur sont offerts. Cela est particulièrement vrai avec la création de nouveaux fonds destinés à soutenir les entreprises dirigées par des femmes. Le Fonds pollinisateur de TELUS joue également un rôle de premier plan, à la fois en jouant le rôle d’investisseur majeur dans de jeunes entreprises à vocation sociale dirigées par des femmes et en offrant divers programmes. À ce jour, plus de 40 pour cent des entreprises du portefeuille du Fonds sont dirigées par des femmes, alors que la norme du secteur est inférieure à 20 pour cent, et plus de 25 pour cent des capitaux promis par le Fonds sont versés à des entreprises dirigées par des femmes.

Afin d’encourager davantage d’investisseurs à s’investir dans de jeunes entreprises dirigées par des femmes, le fonds à vocation sociale a également organisé un défi des investisseurs de 11 semaines avec Spring Activator pour permettre aux investisseurs de rencontrer des fondatrices d’entreprise. Cette initiative a permis de recueillir plus de 300 000 $ en financement pour la gagnante du défi.

Au fil du temps, il est important de se rendre compte que l’augmentation de la représentation n’est pas un processus simple et ponctuel. Dans un monde où les femmes se butent encore à divers obstacles pour obtenir du financement complémentaire et de croissance, il est indispensable de ne pas se contenter de financer les entrepreneures à leurs débuts : il faut continuer à les financer tout au long du développement de leur entreprise.

Mme Xia reconnaît combien il peut être difficile pour les femmes lorsque la représentation est encore faible et que ces barrières existent toujours. Elle ajoute toutefois que les fondatrices sont les mieux placées pour défendre leurs propres intérêts, mais qu’elles peuvent parfois dresser elles-mêmes les plus gros obstacles, selon leur état d’esprit.

« Nos propres blocages sont la seule chose qui nous empêche de changer le monde », déclare-t-elle.