Cyberintimidation
Donner aux jeunes les moyens de lutter contre la sextorsion
Aider les jeunes à comprendre les conséquences du partage d’images intimes et de la sextorsion.
Lire l'articleNimmi Kanji
directrice générale, programmes à vocation sociale : TELUS Averti et TELUS pour l’avenir
Comment les jeunes passent-ils leur temps en ligne et quels types d’expériences numériques vivent-ils? La Dre Johanna Sam est récipiendaire de la bourse de recherche en santé Michael Smith et professeure adjointe à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de la Colombie-Britannique, du Département de psychopédagogie, de psychologie de l’orientation et de l’enseignement spécialisé, ainsi qu’au NITEP (programme Indigenous Teacher Education Program). Dans le cadre de ses recherches sur le bien-être des jeunes, elle tente de répondre à cette question, en écoutant les jeunes s’exprimer sur le sujet.
Pour mieux comprendre les applications pratiques des travaux de la Dre Sam, nous avons eu une discussion approfondie avec elle sur sa motivation, ses méthodes et approches de recherche, l’importance de la résilience pour les jeunes et ses conseils aux parents.
Q : Pouvez-vous nous parler de votre parcours, de l’objet de vos recherches et de ce qui vous a incité à suivre cette voie? JS : Je suis membre de la nation Tŝilhqot’in. Je vis et travaille actuellement sur le territoire traditionnel du peuple Musqueam, connu sous le nom de Vancouver, Colombie-Britannique. Dans le cadre de mes recherches à l’Université de la Colombie-Britannique, j’étudie le bien-être des jeunes et la façon dont ils passent leur temps en ligne. Mon objectif est de faire entendre la voix des jeunes issus de la diversité et comprendre leurs expériences, racontées dans leurs propres mots. Lorsque j’ai commencé à interroger les jeunes sur leur vie en ligne, j’ai été surprise de leurs réponses. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de différence entre la vie en ligne et hors ligne; que c’était simplement la vie. Leur expérience en ligne est complètement intégrée à ce qu’ils font tous les jours.
Dans mon travail, nous utilisons des méthodes de recherche traditionnelles (sondages, etc.), mais nous essayons également d’entendre l’histoire des jeunes de différentes manières. Notre projet de récit collectif réunit un petit groupe de cinq à dix jeunes dans un cercle de partage. Les participants créent ensemble l’histoire d’un jeune typique et nous explorons ce que ce personnage principal fait en ligne, si des gens sont méchants avec lui et de quelle façon, ses réactions, sentiments et réflexions. Grâce à un personnage, les jeunes peuvent s’inspirer de leurs propres expériences et les partager en toute sécurité, sans culpabilité ni honte.
Q : Parlez-nous de votre travail au sein de C.I.R.C.L.E à l’Université de la Colombie-Britannique. Qu’apprenez-vous au sujet de la cyberintimidation et de ses conséquences? JS : C.I.R.C.L.E est le nom du laboratoire de recherche que je dirige à l’Université de la Colombie-Britannique, qui regroupe des étudiants de premier et deuxième cycles ainsi que des membres de la communauté autochtone. Nous travaillons sur la narration numérique dans les communautés autochtones, la cyberintimidation des jeunes et les différences culturelles, le changement climatique et le bien-être des jeunes. Nous examinons les choses sous l’angle culturel et nous nous concentrons sur la diversité, l’inclusion et l’équité parmi les jeunes.
Notre équipe a vécu une expérience intéressante avec un groupe de jeunes pendant la pandémie. Nous utilisions les médias sociaux pour recruter des jeunes afin qu’ils participent à un cercle de partage, en leur offrant une rétribution de 50 $. Un groupe d’adolescents a envoyé des centaines de réponses à nos annonces sans avoir l’intention d’y participer, pour nous causer du tort ou simplement faire les idiots. J’ai communiqué avec eux et les ai invités à participer. Dix d’entre eux, qui s’identifiaient tous à des minorités visibles, sont venus. Au cours du cercle de partage, ils ont raconté l’histoire d’un jeune homme, Peter, qui a publié des vidéos en ligne et a reçu des messages de haine à cause de son appartenance ethnique. Ils ont également raconté que Peter avait réussi à se sortir de cette situation en en parlant à sa famille et en se tournant vers des influenceurs de confiance sur les médias sociaux. Nous avons pu transformer cette expérience négative en expérience positive en donnant à ces jeunes leur première occasion de s’exprimer de cette manière, dans un environnement sûr et sans jugement.
Q : Quelles sont les similitudes et les différences entre la façon dont les jeunes autochtones et non autochtones font face aux cyberagressions? JS : Il n’y a que de légères différences. Tous les jeunes parlent d’abord à leurs pairs de ce qui se passe en ligne. S’ils ont besoin de soutien supplémentaire, ils se tourneront ensuite vers des adultes de confiance. Les jeunes autochtones rechercheront d’autres influenceurs, défenseurs et entrepreneurs autochtones en ligne. Ils veulent se voir représentés. Enfin, les jeunes autochtones comme les jeunes noirs s’appuient sur leurs vastes réseaux familiaux élargis pour obtenir du soutien. Lorsque nous les interrogeons sur la nature des cyberagressions qu’ils subissent, beaucoup d’entre eux parlent de propos haineux et d’attaques contre leur identité, fondées sur des stéréotypes sur les peuples autochtones. Passer du temps hors ligne peut aider à faire face à la situation. Un jeune qui participait à l’un de nos cercles de partage nous a raconté qu’un adulte en qui il avait confiance lui a conseillé d’« aller toucher l’herbe ». Il faut se déconnecter pendant un certain temps, sortir et remettre les compteurs à zéro.
Q : L’approche à double optique fait partie intégrante de votre travail. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit et comment elle s’applique aux jeunes et à la cyberintimidation? JS : Nous combinons des façons d’être autochtones et non autochtones pour soutenir la diversité des jeunes et de leurs voix. La plupart du temps, les recherches sur la cyberintimidation sont menées dans des salles de classe, auprès de jeunes de la classe moyenne, au moyen de sondages. Or, il est essentiel de joindre une communauté diversifiée. Nous allons à la rencontre des jeunes, en ligne, pour les impliquer. La communication narrative est une approche relativement nouvelle de la recherche sur la cyberintimidation. Dans nos cercles de partage, nous créons ensemble des histoires qui font entendre les voix et les expériences des jeunes, dans leurs propres mots.
Q : Comment pouvons-nous soutenir les jeunes qui font face à des problèmes en ligne? JS : La résilience est la force de surmonter une épreuve ou de rebondir après une période difficile. Les jeunes vont vivre des expériences difficiles en ligne. Comment les soutenir pour qu’ils n’intériorisent pas cette expérience et n’aient pas l’impression qu’elle leur pèse? Nous parlons beaucoup du fait d’être un combattant et de développer sa force, que ce soit en trouvant des modèles en ligne qui leur ressemblent ou en échangeant avec des adultes de confiance. Les jeunes ne se sentent pas vraiment concernés par le jargon et les termes que nous utilisons habituellement, comme « faire face ». Nous modifions et adaptons constamment nos recherches pour les rendre plus compréhensibles pour les jeunes. Nous devons aller à la rencontre des jeunes là où ils sont et communiquer avec eux d’une manière qui leur convient.
Q : En fonction de votre travail et de vos recherches, quels conseils donneriez-vous aux parents, aux éducateurs et aux jeunes? JS : Les appareils font partie de notre vie quotidienne, en particulier pour les jeunes. Il faut en discuter avec eux dès qu’ils commencent à les utiliser. Les parents sont très préoccupés par le temps d’écran, et on me pose souvent des questions à ce sujet. Je conseille aux parents de trouver des moyens d’aider les jeunes à réguler eux-mêmes l’utilisation de leurs appareils. Intéressez-vous à ce qu’ils font en ligne. Par exemple, si votre enfant joue à un jeu vidéo, demandez-lui combien de temps il pense mettre pour atteindre le niveau ou l’objectif suivant. Négociez ensuite ce temps avec lui et proposez-lui d’autres activités qu’il pourrait faire à la place. Il est également important de comprendre qu’une grande partie de l’activité des jeunes en ligne a une composante sociale. S’ils jouent à un jeu, c’est peut-être le seul moment où ils peuvent virtuellement passer du temps avec certains amis, ce qui peut avoir une incidence positive sur leur bien-être.
Q : Une dernière chose à ajouter? JS : La voix des jeunes est importante. Il est essentiel d’aller à leur rencontre et de parler avec eux. La plupart sont prêts à parler de leurs expériences si nous leur posons la question d’une manière qui les rejoint. Ils proposent des solutions intéressantes qui peuvent également aider les autres. Mon travail consiste à faire une place aux jeunes issus de la diversité et à les encourager à s’exprimer. La création d’espaces sûrs où les jeunes peuvent partager leurs expériences nous aide à défendre nos intérêts, ce qui est essentiel pour le bien-être des jeunes en ligne.
Pour en savoir plus, explorez les ressources sur la cyberintimidation et participez à l’atelier en ligne Soutien des jeunes dans un monde numérique.
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