Sécurité et vie privée / 06 juin 2024

Stopper la prolifération d’images d’abus pédosexuels en ligne : entretien avec Signy Arnason, directrice générale adjointe du Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE)

Nimmi Kanji

Nimmi Kanji

directrice générale, programmes à vocation sociale : TELUS Averti et TELUS pour l’avenir

Personne tapant sur un ordinateur portable

Les images d’abus pédosexuels en ligne se propagent à une vitesse fulgurante. À tel point que le Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE) a lancé Projet Arachnid en 2017. Il s’agit de la première solution centrée sur les victimes conçue pour réduire la disponibilité des images d’abus pédosexuels en ligne, mais aussi apporter du réconfort et de l’espoir aux survivants d’abus sexuel.

Pour comprendre le rôle du Centre canadien de protection de l’enfance, savoir comment ces images sont diffusées, connaître l’expérience de survivants et pouvoir aborder ces sujets sensibles de sécurité en ligne avec les enfants de votre entourage, nous avons parlé à Signy Arnason, directrice générale adjointe au CCPE. Signy a rejoint le CCPE en 2001 et a joué un rôle majeur dans la création et la gestion de cyberaide.ca, la centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet. À son poste actuel, elle supervise les opérations du CCPE, notamment le développement et la mise en œuvre à l’échelle internationale de Projet Arachnid.

Q : Qu’est-ce que le CCPE, et comment est-il présent au Canada et dans le reste du monde?

S. A. : Le CCPE indexe le contenu à caractère pédosexuel, qu’il s’agisse d’images, de vidéos ou de dessins. Les gens sont souvent choqués d’apprendre à quel point ce type de contenu est facilement accessible sur le web public. À cyberaide.ca, nous recevons jusqu’à 2 500 signalements par mois de Canadiens qui pensent que des enfants sont victimisés en ligne d’une manière ou d’une autre. C’est presque 30 000 signalements par an. Avant le lancement de Projet Arachnid, il n’existait pas de solution à l’échelle internationale pour soutenir les survivants dont l’abus avait été enregistré et partagé massivement sur Internet.

Q : Qu’est-ce que Projet Arachnid, et quels sont ses objectifs principaux?

S. A. : Projet Arachnid est un ensemble d’outils innovants centré sur les victimes, qui lutte contre la prolifération d’images d’abus pédosexuels sur Internet. La plateforme utilise des technologies de détection et des analystes dédiés pour envoyer des avis de suppression automatisés aux fournisseurs de services d’hébergement du monde entier. Depuis son lancement, Projet Arachnid a émis 40 millions d’avis à environ 1 500 fournisseurs dans plus de 100 pays. À l’heure actuelle, notre moyenne quotidienne est d’environ 20 000 avis. Et nous renvoyons les avis toutes les 24 heures jusqu’à ce que l’image soit supprimée. Comme vous le savez, Internet n’est pas régulé, donc les images peuvent facilement être téléversées à nouveau et repartagées en masse. Grâce à Projet Arachnid, nous détectons des millions d’images en ligne, dont bon nombre sont des archives de survivants qui sont aujourd’hui des adultes. Si l’on ne retire pas ces images du web, ces personnes ne peuvent pas tirer un trait sur l’abus dont elles ont été victimes par le passé et continuent de revivre leurs traumatismes. C’est notre devoir de protéger la sécurité des personnes les plus vulnérables et de lutter contre la marchandisation massive et la normalisation de ce genre de contenus.

Q : Quelles sont vos priorités pour 2024 et les années à venir?

S. A. : Nous avons établi trois piliers principaux : réduire la disponibilité des images d’abus pédosexuels en ligne, soutenir les victimes et les survivants et plaider pour une solution à l’échelle mondiale afin de diminuer le niveau de victimisation que nous constatons actuellement. Les questions de sécurité en ligne des enfants ne cessent d’évoluer. C’est pourquoi il est important de poursuivre le dialogue et de continuer à sensibiliser les gouvernements, le grand public, les systèmes scolaires et les parents. Par exemple, en 2023, nous avons diffusé le message d’intérêt public Le Cheval afin que les gens comprennent à quel point il est important de prendre des mesures concrètes pour protéger les enfants en ligne, surtout lorsque beaucoup d’entre eux ont leur propre téléphone intelligent.

Q : Comment évolue Projet Arachnid par rapport à la technologie, notamment avec l’utilisation et l’amélioration croissantes de l’IA?

S. A. : L’intelligence artificielle (IA) s’avère inquiétante à plusieurs égards. Tout d’abord, les jeunes utilisent des applications de génération de photos dénudées pour créer des images de leurs pairs nus. Ce phénomène prend une ampleur démesurée dans les écoles et cause de véritables dommages. Nous commençons aussi à voir une hausse des images d’abus pédosexuels générées à l’aide d’outils d’IA et d’anciennes images d’abus sexuels. Entre 2022 et 2023, nous avons signalé 2 500 images générées par l’IA. Entre 2023 et 2024, ce nombre est monté à 3 700. Rien qu’au mois d’avril, nous avons détecté 500 images générées par l’IA, ce qui signifie que l’on pourrait connaître une autre hausse significative d’environ 5 000 à 6 000 images d’ici à la fin de l’année.

Q : Quelles ont été les répercussions de Projet Arachnid?

S. A. : Nous avons la grande chance de travailler avec de nombreux survivants, qui nous disent constamment que Projet Arachnid a changé leur vie et leur a enfin donné l’occasion de guérir. Auparavant, bon nombre de survivants tentaient de retirer eux-mêmes d’Internet leurs images d’abus. Maintenant, Projet Arachnid exploite la technologie afin de localiser rapidement les images d’abus pédosexuels en ligne et émettre des avis à l’échelle internationale pour que ces contenus soient supprimés. Nos campagnes de sensibilisation jouent aussi un rôle majeur. Nous fournissons du matériel pédagogique dans toutes les provinces et tous les territoires du pays pour aider les parents et les enfants à réduire les risques d’abus. Les entreprises qui interagissent avec des enfants doivent intensifier leurs efforts et assumer leur juste part de responsabilité pour assurer la sécurité des enfants en ligne. Nous plaidons vigoureusement pour la mise en œuvre de mesures de contrôle concrètes et pour davantage de responsabilisation.

Q : Quels conseils donneriez-vous aux parents, et comment doivent-ils aborder ce sujet avec les enfants de leur entourage?

S. A. : À mesure que les enfants deviennent plus indépendants et autonomes en ligne, ils deviennent aussi plus vulnérables. Les discussions sur la sécurité en ligne doivent avoir lieu dès que vous connectez vos enfants à Internet. Il est plus facile d’aborder ces questions en faisant preuve de curiosité, et sans émettre de jugement ni blâmer les enfants. Chaque enfant a droit à la sécurité, à la protection de sa vie privée, à l’autonomie corporelle et à l’intégrité sexuelle. Si quelqu’un enfreint l’un de ces droits, nous voulons que les enfants se sentent suffisamment en sécurité pour trouver un adulte de confiance à qui demander de l’aide. Lorsque les enfants grandissent, présentez-leur des situations hypothétiques et laissez-les trouver des réponses appropriées. Les ados apprennent en s’entraînant à prendre des décisions. Si quelqu’un les cible en ligne, ils sauront quoi faire et vers qui se tourner pour obtenir de l’aide sur le moment. Je pense qu’il est aussi très important d’imposer des limites aux enfants, pour qu’ils puissent consacrer leur temps et leur attention à d’autres choses et interagir avec des gens du monde réel.

Q : Une dernière chose à ajouter?

S. A. : Pour la plupart, les parents sont à l’écoute, informés et font de leur mieux pour assurer la sécurité des enfants en ligne. Les entreprises doivent en faire beaucoup plus pour remplir leur obligation d’assurer la sécurité des enfants sur leurs plateformes. Nous devons renforcer le sens des responsabilités partagé, comme pour les normes que nous établissons dans le monde hors ligne.

Pour en savoir plus sur le soutien aux jeunes dans notre monde numérique, regardez cette discussion intéressante sur le risque croissant de sextorsion et sur les moyens de la contrer ici.

Mots-clés:
Prévention et soutien
Partagez cet article avec vos amis :

Sécurité et vie privée

Des fraudeurs se font passer pour des employés d’institutions bancaires

Le Centre antifraude du Canada (CAFC) tient à avertir la population canadienne qu’il existe une nouvelle variante du stratagème du faux enquêteur bancaire.

Lire l'article

Sécurité et vie privée

L’hypertrucage : technique utilisée pour la perpétration de fraudes

Le Centre antifraude du Canada constate une augmentation des signalements d’incidents où l’hypertrucage est utilisé pour commettre des fraudes.

Lire l'article

Sécurité et vie privée

Des fraudeurs se font passer pour des employés du Centre antifraude du Canada

Découvrez comment les fraudeurs se font passer pour l'CAFC et les services de police.

Lire l'article